Une discipline qui reste volontairement à l’écart des podiums court le risque de passer inaperçue auprès du grand public. Effectivement, bien que le nom d’aïkido soit familier à un grand nombre de personnes, il faut bien reconnaître que beaucoup de fausses définitions et de lieux communs circulent à son sujet.

L’Aïkido est un art martial jeune si l’on considère que son fondateur Morihei Ueshiba est décédé en 1969. Ce dernier avait pratiqué une foule d’arts martiaux différents et en particulier certaines écoles de Ju-Jutsu (combat à mains nues) et de Ken Jutsu (Combat au sabre). L’influence de cette dernière discipline est d’ailleurs visible dans la pratique sans arme de l’Aïkido. Cependant, les armes gardent tout de même une présence importante dans la pratique avec le Tanto (poignard), le Jo (bâton) et le bokken (sabre de bois).

0 Sensei Morihei Ueshiba qui avait démontré l’efficacité de l’aïkido face à plusieurs experts dans divers arts martiaux désireux de mettre sa technique à l’épreuve voyait dans sa discipline une composante spirituelle importante. Il avait compris que la sympathie et la compassion à l’égard de l’agresseur étaient bien plus appropriées que la haine et la volonté de détruire.

En effet, l’agression est le reflet d’un déséquilibre, d’une frustration et d’une peur qui engendre la violence. Bien entendu, lors d’une attaque, il serait ridicule de se laisser détruire et la protection de sa propre intégrité passe au premier plan. Dans le concept de Ueshiba, ce n’est pas suffisant. Il faut également accepter l’attaque de l’agresseur, l’intégrer dans une spirale qui rend cette attaque vaine et qui ramène le calme là où il n’y avait que violence, sans destruction autant que possible, et en utilisant un minimum de force et d’énergie.

Dès lors, on comprend mieux la traduction littérale du mot aïkido en français :”La Voie de l’harmonisation des énergies”.

Un professeur de kendo (combat au sabre) avait parfaitement compris le principe face à Ueshiba après avoir tenté de le toucher sans succès durant plus d’une heure au moyen d’un sabre en bois. Il avait abandonné épuisé face une cible souriante et inaccessible qui ne fuyait pas mais qui ressentait ses attaques intuitivement et rentrait dans ces dernières de manière systématique. Le professeur de kendo était devenu un de ses élèves les plus assidus. Maître Jigoro Kano le fondateur du Judo moderne avait également envoyé plusieurs de ses élèves étudier l’Aïkido auprès de Maître Ueshiba afin de comprendre ces principes.

Il est intéressant de prendre conscience de ces interdépendances et de l’intérêt que portaient les disciplines les unes par rapport aux autres et qui témoignaient d’un esprit d’ouverture et de volonté de compréhension qui sont ou qui devraient en tous les cas être toujours présents.

Dans la pratique entre aikidokas et c’est sans doute ce qui donne à certains cette image de “ballet ” , celui qui porte l’attaque et qui se trouve aspiré dans le mouvement va à son tour tenter de limiter les dégâts et éviter de se retrouver dans une situation trop exposée. C’est pourquoi, en Aïkido, les chutes sont toujours volontaires et servent à éviter les effets des clés de poignet ou de bras, des atemis (coups de poing, de pied, de genou ou de coude). L’opposition directe à la force n’existe pas et l’énergie de l’attaquant est utilisée au maximum. Voilà très brièvement résumé ce qui concerne l’efficacité “physique”.

Cependant, force est de constater que de nombreux ouvrages sur l’Aïkido sortent régulièrement et ne comportent aucun dessin, aucune photo ni aucune description de technique. La modernité de l’Aïkido met bien en relief que l’agression parfois quotidienne que chacun peut ressentir contre sa liberté individuelle, sur son lieu de travail, dans sa vie familiale, dans la cité au sens large du terme est bien plus fréquente que l’agression physique au coin de la rue.

C’est d’ailleurs surtout en soi que se déroulent souvent les combats et les contradictions les plus vives. “Le plus grand ennemi est en soi-même” avaient coutume de déclarer certains Maîtres japonais et ce qui était vrai pour des hommes qui devaient mettre leur vie en jeu régulièrement l’est encore de nos jours a notre atelier, à notre bureau et derrière notre volant. Des sentiments tels que la peur, l’angoisse, la colère, l’orgueil, la déprime, la jalousie, l’envie, la haine pour n’en citer que quelques-uns sont bien des adversaires internes qui vont tenter de fausser nos rapports avec autrui voire entraîner notre défaite. Ce ne sera sans doute pas la perte de notre vie, mais peut-être celle d’un client, d’un contrat, d’un ami et en tous les cas de notre équilibre et d’une partie de notre propre estime.

C’est donc bien dans le quotidien que l’enseignement de Maître Ueshiba peut prendre tout son sens et la pratique de l’Aïkido dans ses principes philosophiques est largement utile en-dehors de la salle d’entraînement afin de vivre en harmonie avec son prochain sans être ni victime, ni bourreau. C’est bien là le contraire d’une attitude sectaire et la volonté d’ouverture au monde d’un homme qui se sentait faire partie de l’univers en faisant corps avec ses lois au-delà de tout esprit compétitif à court terme.

Beau programme que tout cela penserez-vous, et bien plus facile à décrire qu’à appliquer et combien vous aurez raison. C’est sans doute pour ce motif que les professeurs d’aïkido estiment qu’une simple pratique physique basée sur la seule acquisition des techniques est aussi inutile qu’une réflexion effrénée sur les fondements de cet art martial sans pratique de l’entraînement. C’est bien l’équilibre des deux qui peut amener l’aïkidoka à ressentir ce qu’est cette méditation en mouvement parfaitement adaptée aux difficultés de notre temps et que seuls certains d’entre nous auront peut-être la joie de maîtriser totalement. Mais quelle quête enthousiasmante.

La définition de l’Aïkido exprimée dans ces lignes est forcément réductrice car elle ne fait appel qu’à des mots et des concepts; aussi nous ne pouvons que vous inviter à joindre le geste à la parole pour participer à une aventure de laquelle le plaisir et la bonne humeur ne sont jamais absents car ils font aussi partie de la conception d’un art martial attachant.

Jean-Marc PORTIER

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